Les résultats du scrutin du 7 juin ont donné
des ailes à Nicolas Sarkozy, qui veut interpréter comme un blanc-seing donné à
son action ce qui ressemble plutôt à la consolidation de son électorat. Je l’ai
déjà écrit : je n’ai pas l’intention de nier le succès électoral du
Président de la République et de son camp ; succès confirmé ailleurs en
Europe puisque partout, ou presque, les sociaux-démocrates subissent un grave
échec. Mais je ne crois pas qu’il faille lire dans ces résultats une approbation
de la politique menée en France.
Versailles. Premier signe
tangible de l’assurance sarkozyenne, la réunion du Congrès, comme l’autorise la
Constitution adoptée en juillet 2008. Députés et sénateurs sont convoqués pour
entendre le Président. Il aurait été selon moi absurde de ne pas y aller :
la Constitution, qu’elle plaise ou non, s’impose à tous et d’abord aux
parlementaires. Mais on voit bien là les limites de l’exercice de
renouvellement démocratique que prétendait engager la droite : un Parlement
muet va écouter un Président libre de ses paroles et non contraint d’engager
une quelconque responsabilité. La faille est bien celle-ci : le Président
français cumule les avantages de tous les systèmes institutionnels (il exerce
le pouvoir exécutif, s’adresse au Parlement mais n’engage sa responsabilité que
devant les électeurs) sans en subir les contraintes (aux Etats-Unis le Congrès
à majorité démocrate a bloqué les décisions de B. Obama sur Guantanamo il y a
quelques semaines). Le débat n’est pas théorique, il est très concret :
l’indépendance du Parlement est la contre-partie nécessaire au pouvoir du
Président de la République. Or, nous en sommes loin…
Retraite
à 70 ans.
Oui, il faudra engager une réforme active de notre système de protection sociale,
qui en garantisse le socle, c’est à dire la solidarité face à la maladie ou la
vieillesse. Oui, je crois que la retraite à 60 ans, pilier symbolique de notre
pacte social, peut être discutée : d’abord parce qu’il ne saurait y avoir
de sujet tabou ; ensuite parce que cette référence est en partie
contournée aujourd’hui. Fallait-il pour autant, comme l’a fait Brice Hortefeux
dès le lendemain des élections européennes, proposer le report de l’âge légal
de départ en retraite à 67 ans ? Non, pas maintenant, pas comme ça.
D’abord parce que le sujet du moment est la montée pernicieuse du chômage, la
multiplication des plans sociaux, et la tentative de substituer aux
licenciements des plans de départ en retraite anticipée. Comme chez Michelin, à
Joué-les-Tours. Comment expliquer qu’il va falloir travailler plus longtemps au
moment même où le travail se fait rare, où les entreprises multiplient les
plans de départs volontaires à destination des plus anciens et, de toute façon,
ne gardent pas leurs seniors puisque 37% seulement des plus de 55 ans occupent
un emploi ? Ensuite, l’avenir n’est pas à appliquer la même règle à
tous : il est temps, plus que temps de légiférer en matière de pénibilité
du travail. Les négociations entre partenaires sociaux ont échoué, le Gouvernement
a promis une loi, il y a plus d’un an. Qui ne vient toujours pas. Or il faudra
bien se résoudre à faire travailler moins longtemps ceux dont l’emploi est
pénible. Enfin, le financement des retraites passe par une contribution de TOUS
les revenus à notre système de protection sociale : on ne redira jamais
assez combien le bouclier fiscal est injuste, qui exonère les plus riches non
seulement de l’impôt mais de la solidarité sociale.
Burqa. Une mission
parlementaire devrait se mettre en place, à l’initiative d’un député communiste
du Rhône. Faut-il interdire le port de cette robe noire
« intégrale », qui ne laisse voir que les yeux ? Le sujet divise
au sein même de chaque famille politique. Pour la part, je suis prudente :
la laïcité n’est pas négociable, et la loi dite du voile, de 2004, a permis
d’apaiser les tensions grandissantes à ce sujet dans les écoles. Faut-il aller
au-delà ? On voit qu’il s’agit alors d’intervenir dans le choix de
l’habillement. Je n’ai aucune complaisance à l’égard de cet islam
intransigeant, qui enferme les femmes et s’affirme comme une force militante
dans l’espace public. Mais soyons prudents : toutes les femmes doivent
pouvoir compter sur la République pour refuser ce qui leur serait imposé ;
mais à trop vouloir intervenir, ne prend-on pas le risque de l’enfermement pour
de bon de ces femmes, qui, ne pouvant plus sortir voilées ne pourraient plus
sortir du tout ? Je le répète : je n’ai aucune indulgence pour cette
revendication agressive de la religion ; je me sens mal à l’aise lorsque
je croise l’une de ces ombres noires, gantées jusqu’en plein été. Je voudrais
seulement être certaine qu’en leur interdisant de sortir ainsi nous les aidons
vraiment. Le débat est en tout cas salutaire.
Marisol Touraine a fait une déclaration à l'AFP, lundi 15 juin, au sujet de l'âge de départ à la retraite.
Conseil national morose, hier soir. Lendemain de défaite, de débâcle, même. L'ampleur de l'échec a comme anesthésié les velléités putschistes de certains, l'heure n'est pas à l'affrontement, mais à l'analyse. Soudain, tout ce que, avec d'autres, j'avais mis en avant depuis des mois - l'absence de lisibilité de notre ligne politique, les faiblesses d'une direction éparpillée, l'insuffisance de débats ouverts entre nous, devant permettre de trancher notre position sur certaines questions difficiles, etc. - faisait consensus. Les commentateurs attendaient qu'on leur joue le remake de Petits meurtres entre amis, mais le sang n'a pas coulé.
Des changements importants sont nécessaires, vite. Je me réjouis de l'absence de violence, mais le PS ne peut se satisfaire de mesures en demi-teinte. Dès lundi, j'écrivais que ce parti devait « réagir ou subir ». Je me souviens d'avoir hésité : mon premier réflexe avait été d'écrire « réagir ou mourir ». D'autres ont été moins timorés et l'ont dit : un changement profond seul peut empêcher le PS de disparaître. Evidemment, ni la gauche ni le socialisme ne mourront, mais d'autres structures peuvent émerger : les radicaux, force centrale de la 1ère moitié du XXème siècle, pèsent désormais bien peu, la SFIO a dû laisser la place au Parti socialiste, après sa calamiteuse gestion des guerres coloniales. Mais son agonie aura duré une dizaine d'années...
J'aurais souhaité un discours plus musclé de la part de Martine Aubry. Elle n'a pas caché l'ampleur de l'échec et de nos responsabilités collectives. Elle a, je crois, pris la juste mesure des obstacles qui sont dressés sur la route de notre rénovation. Pourtant, elle a choisi de ne rien brusquer. Je suis persuadée qu'il faut un traitement de choc immédiat : changer très vite de mode de fonctionnement, pour pouvoir engager l'indispensable clarification idéologique. Le PS a besoin d'un pilote dans l'avion, d'une direction resserrée, de débats avec la société et les autres forces de gauche. Il faut ouvrir portes et fenêtres, provoquer les rencontres, retrouver le goût de l'imagination, oser tout simplement. Il ne suffit pas de « donner du temps au temps », on ne peut continuer « comme avant », il faut changer, beaucoup, et vite.
Nous devons engager une triple rénovation. D'abord, celle de notre mode de fonctionnement. La « gouvernance », comme ont dit maintenant, du PS a fait la preuve multiple de son inefficacité. Ce changement peut et doit intervenir très vite. J'attendais des propositions dès hier soir, il ne faut plus tarder. La deuxième rénovation est celle de notre préparation aux futures échéances, qui implique de décider du mode de désignation de notre futur(e) candidat(e) à l'élection présidentielle. Je suis plutôt favorable à la mise en place de primaires ouvertes aux sympathisants : je ne mésestime pas la difficulté que cela peut représenter pour un parti comme le nôtre, qui se veut parti de militants, mais il me paraît que c'est une condition nécessaire pour mieux prendre en compte les attentes des Français. En tout cas, nous devons en parler, ne rien éluder, et trancher.
Enfin, reste la rénovation des idées, la clarification politique. C'est évidemment la plus difficile, la plus importante aussi. Les Français qui ne se retrouvent pas dans la politique de N. Sarkozy, et ils sont nombreux, ont envie d'entendre autre chose qu'un discours d'opposition. La tâche est difficile car, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, c'est le socle d'idées de la social démocratie qui est en cause. Celle-ci a été la réponse apportée à la crise de 1929 ; il nous faut inventer l'antidote du XXIème siècle à la crise du capitalisme financier. Cela explique que, partout en Europe, les partis de gauche, quelle que soit leur dénomination -social démocrate, travailliste, socialiste – soient à la peine. En proposant un modèle de développement différent, les écologistes ont ouvert une piste, ce qui explique en partie leur succès électoral. Les chantiers sont vastes, il est temps de nous y attaquer !
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