La
question des retraites est au cœur des préoccupations des Français. Ils sont
inquiets d'une remise en cause de notre pacte social : les actifs craignent de
ne pouvoir percevoir une retraite décente demain ; les retraités d'aujourd'hui
voient leur pouvoir d'achat diminuer. La réforme de 2003 n'a apaisé ni les
craintes ni les difficultés. Nos réserves d'alors se trouvent amplement
justifiées. Le rendez-vous de 2008 sera décisif.
Quelle
urgence y avait-il donc à revoir les régimes spéciaux de retraite, dès
maintenant, en engageant une consultation précipitée et donc largement factice,
alors que le rendez-vous de 2008 se prépare et que personne, je dis bien
personne, n’envisageait à cette occasion de laisser ces régimes inchangés ?
Quelle urgence y avait-il à avancer encore le débat qui nous réunit dans cet
hémicycle aujourd’hui, et qui relève plus de l’affichage politique que de la
consultation parlementaire ? Le Premier ministre l'a lui-même dit : il
suffisait d'un signe de l'Elysée pour que paraisse le décret nécessaire à
l'adaptation de ces régimes. Comment croire, dans ces conditions, à la volonté
de dialogue et de concertation que vous prétendez afficher ? L'échange de ce
matin ne saurait en finir avec la consultation des parlementaires. Je regrette
l'absence de vote, qui contribue au sentiment de frustration. Nous attendons
qu'un nouveau débat soit organisé lorsque votre réforme sera décidée, puisque
vous avez choisi de ne pas en passer par un vote du parlement.
Quelle
urgence, donc, sinon celle de donner des
gages à votre majorité, confrontée à une opinion de plus en plus perplexe,
inquiète de la dégradation des comptes sociaux, stupéfaite par l’irréalisme de
votre budget, dubitative sur le sens de votre politique, dont le seul effet
jusqu’à maintenant aura été de faire baisser les impôts des catégories aisées
sans effet sur la croissance ! Vous avez beau chercher à opposer les tenants de
la réforme aux partisans de l’immobilisme, rien n’y fera : les régimes spéciaux
doivent évoluer, ne serait-ce que pour garantir la stabilité de leur financement.
Mais rien, ni sur le plan économique, ni sur le plan politique, ne justifie que
vous en fassiez un rendez-vous à part de
la négociation de 2008 ! A moins que vous ne vouliez préparer tous les Français
à de prochaines remises en cause de leurs droits sociaux, plus rudes que celles
attendues ?
QUELLE URGENCE ?
Car vous ne ferez croire à personne que cette réforme était nécessaire pour l'équilibre du régime général des retraites : ces régimes, qui ne concernent plus que 500 000 salariés et 1 millions de retraités, représentent à peine 6 % de la masse des pensions versées, régimes de base et complémentaires confondus. Ce n’est pas là que vous trouverez la clé des financements à venir, et il y a quelque supercherie à prétendre, comme l’a fait le Président le République le 18 septembre dernier, que cette réforme était le préalable nécessaire à une revalorisation des petites pensions ! A qui allez vous faire croire que c’est en modifiant les conditions de retraite de 500 000 personnes que vous allez répondre aux attentes des millions de Français, retraités du privés ou de la fonction publique qui touchent quelques centaines d’euros à peine pour solde de toute une vie de travail ! Dans ce cas, il faudrait aussi rappeler que d'autres régimes de retraite, qui ne sont pas qualifiés de spéciaux, sont déficitaires et bénéficient de la solidarité nationale : par exemple, les exploitants agricoles, les commerçants et artisans, certaines professions indépendantes.
Vous
avez dit que vous souhaitiez que tous les régimes abordent le rendez-vous de
2008 dans les mêmes conditions : faut-il comprendre dans ces conditions que la
réforme que vous préconisez sera suivie d'une autre, dans quelques mois à peine
? Si tel ne devait pas être le cas, comment comprendre que vous laissiez les
régimes spéciaux rester ... « spéciaux » ?
L'ÉQUITE
J’entends
bien votre réponse : il ne s’agit pas seulement de financement, mais d’équité,
dites-vous ! L’équité qui voudrait que l’on mette fin au caractère « indigne »
- je cite le Président de la république - des régimes spéciaux ! Si ça, ce
n’est pas stigmatiser, montrer du doigt, de quoi d'autre s'agit-il ! Qui est
contre l’équité ? Personne ! Qui conteste la nécessité d’aller vers l’équilibre
financier des régimes ? Personne ! Mais c’est vous, et votre majorité, qui avez
échoué à faire de l’équité le socle d’une réforme des retraites durable ! Au
point que le Premier ministre, artisan de cette réforme, vient d’annoncer qu’il
entendait revoir le dispositif dit des « carrières longues » permettant aux
salariés ayant commencé à travailler jeunes de cesser leur activité avant 60 ans. Où est l’équité, dans ce cas, si
pour vous la réforme des retraites se borne à une réforme technique, incapable
de faire la différence entre l’ouvrier qui travaille depuis ses quinze ans et
le cadre dirigeant hyper protégé par des assurances en tout genre ?
Parlons
équité, justement. Pourquoi faudrait-il qu'elle s’arrête aux portes des
privilèges des plus favorisés ? Ce qui vaut pour les uns – dont vous
conviendrez qu’ils ne font pas partie des privilégiés de la nation- doit valoir
pour les autres, qui ont droit à des bonus, des stock options, des retraites
chapeaux et autres parachutes dorés quand ce n’est pas tout à la fois ! Les
dividendes des stocks options, ce sont 30 000 euros en moyenne de revenus par
bénéficiaires, totalement exonérés de cotisations. Le Premier président de la
cour des comptes l'a souligné avec force dans le dernier rapport de
l'institution sur les comptes sociaux : en mettant fin à l'ensemble des niches
fiscales qui concernent ces jack pots légaux réservés aux cadres dirigeants,
vous feriez rentrer dans les caisses de la sécurité sociale plus de 8 milliards
d'euros. Au nom de l'équité, il serait judicieux de s'intéresser à ces revenus.
Mais à ceux là, vous avez choisi de distribuer 15 milliards d’avantages fiscaux
complémentaires. C'est aux autres que vous promettez des retraites revues à la
baisse.
LES PRINCIPES D'UNE REFORME
Une
évolution des régimes de retraite est nécessaire, si l’on veut en assurer le
financement dans la durée et maintenir la confiance des Français dans la
solidarité collective. Mais la réussite d'une telle réforme passe par le
respect d’un certain nombre de principes qui nous paraissent, à nous socialistes,
essentiels. Je voudrais ici en souligner trois principaux.
Le
premier, c’est qu’il n’y aura pas de réforme réussie sans réforme négociée.
Vraiment négociée. Au cas par cas, entreprise par entreprise ou secteur par
secteur. Quelle chance laissez-vous à ce dialogue en annonçant que tout est
prêt, qu’il ne vous reste plus qu’à apposer votre signature au bas d’un décret
pour que la réforme soit actée ? Toutes les organisations syndicales l’ont dit
: chaque régime est différent, et vouloir gommer ces différences, c’est
mépriser les salariés. Vous nous parlez toujours des conducteurs de la RATP ou de la SNCF, permettez-moi d’évoquer
les femmes clercs de notaire. Qui gagnent 30 % en moyenne de moins que les
hommes. Mais partent à la retraite plus tôt. Comment leur imposer de partir
plus tard, sans que soit revu en parallèle leur niveau de salaire ? Et puisque
vous voulez parler des agents de la SNCF comme des privilégiés, disons clairement aussi que les
cheminots ont une retraite de 62 % de leur salaire brut seulement, sans
bénéfice d’aucun avantage familial. C’est parce que la Banque de France a su
répondre aux inquiétudes de ses agents qu’elle a pu d'elle-même réformer leur
régime de retraite et l’aligner sur celui de la fonction publique. Il serait injuste
– il s'agit de justice sociale et pas seulement d'équité – de ne voir le statut
des agents que sous l'angle de leurs conditions de départ en retraite. Tout
doit être mis sur la table. Il paraît essentiel aussi que la période de
transition au cours de laquelle se mettra en place le nouveau régime soit
longue.
Le
deuxième principe, c’est que la réforme des régimes spéciaux comme de
l’ensemble des régimes de retraite doit garantir le taux de remplacement des
pensionnés. On ne peut verser des larmes de crocodile sur les petites
retraites, et dans le même temps rogner le pouvoir d’achat des retraités. Le
choix a été fait de faire porter le poids de la réforme par l’allongement de la
durée de cotisation. Les Français vivent plus longtemps, on peut comprendre qu’une partie de ce temps
gagné soit consacré à travailler. A condition que le niveau des pensions, lui,
soit maintenu ! Sinon, la supercherie est totale. Or, la manière dont vous avez
engagé et appliqué la réforme de 2003 est préoccupante, puisque le taux de
remplacement a baissé depuis cette date, et le pouvoir d'achat des retraités a baissé, du fait notamment de
l'augmentation des prélèvements sur les retraites. Depuis la réforme dite « Balladur » de 1993,
le taux de remplacement – concrètement, le montant des pensions - ne cesse de
s’amenuiser. C’est le Conseil d’Orientation qui le constate dans son dernier
rapport : les retraités perdent 22% de leur pouvoir d’achat en 20 ans passés en
retraite. Cette réforme aboutira à terme à une baisse du pouvoir d'achat des
retraites de plus de 35%. Or, ce phénomène ira s’accentuant, puisque
l’allongement de la durée de cotisations reste sans effet sur le maintien dans
l’emploi des seniors. 22 ! Ils seraient 22 les seniors à avoir bénéficié du
plan d’emploi qui leur était consacré, entre 2003 et 2005. Concrètement, les
Français doivent travailler plus longtemps pour bénéficier d’une retraite à
taux plein, mais dans le même temps les entreprises françaises refusent
toujours autant de former leurs salariés quinquagénaires, elles refusent
toujours d’embaucher les plus de 55 ans, au point que la France reste à la traîne en
Europe pour ce qui est de l’emploi des seniors ! Alors, vous pouvez nous annoncer un nouveau
plan, Monsieur le Ministre, ce sont les entreprises qu'il faut contraindre, pas
nous qu'il faut convaincre.
Nous
vous le disons tout net : pour nous, aucune réforme ne saurait être acceptable
si elle ne garantit pas le niveau des pensions. En particulier des plus petites
retraites : aucune pension ne doit être inférieure au SMIC. Mais il ne s’agit
pas seulement d’afficher des statistiques théoriques, il s’agit concrètement de
faire en sorte que soit pris en compte le fait que de plus en plus de Français
ont des carrières hachées, ne trouvent pas d’emploi passé un certain âge, ce
qui les fait perdre sur les deux tableaux : non seulement ils vont devoir
cotiser plus longtemps, mais leur retraite sera plus faible puisque rien n’est
fait pour enrayer l’effritement de leur pouvoir d’achat. Je vous suggère
d’ailleurs, M. le Ministre, de faire preuve de prudence lorsque vous annoncez
que l’introduction du mécanisme de la décote n’est pas négociable : vous
préparez des lendemains de misère à des millions de Français qui n’auront eu
d’autre tort que de ne pas trouver d’emploi lorsqu’ils en cherchaient un !
Déjà, le retournement de tendance est là : le taux de pauvreté des plus de 65
ans est désormais supérieur à celui de la population dans son ensemble. 16 %
des retraités sont au seuil de pauvreté. Les femmes sont directement touchées,
en particulier celles qui dépendent d'une pension de réversion : et vous êtes
directement responsable, puisque le décret du 14 février 2006 a diminué la couverture
sociale des veuves ne travaillant pas et ayant moins de trois enfants. On le dit,
la retraite c'est le patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Vous dites faire du
pouvoir d'achat une priorité, mais le décalage entre les mots et les faits est
flagrant. On voit bien comment pourrait se profiler une réforme qui limite la
solidarité nationale à un seuil minimum,
renvoyant à des assurances complémentaires ou des revenus d'intéressement le
soin de compléter cette base. Le développement des fonds d'épargne salariale ne
doit pas être l'alibi d'une révision à la baisse des retraites.
Le
troisième principe concerne la prise en compte de la pénibilité des emplois et
la revalorisation du travail. Il est impensable d'engager une réforme juste qui
ne tienne pas compte des conditions de travail, de la pénibilité de certains
métiers. Une négociation a été engagée entre les partenaires sociaux, qui est
totalement bloquée. Son aboutissement est un préalable nécessaire à la mise en œuvre
de toute nouvelle étape dans l'évolution des régimes de retraite. Je sais qu'il
reste difficile de se retrouver sur des critères objectifs de pénibilité.
L'espérance
de vie est en tout cas un premier facteur à prendre en compte, même si ce ne
peut être le seul, à condition de neutraliser le fait que les femmes, toutes
choses égales par ailleurs, vivent plus longtemps. Je le redis clairement, nous
ne pourrons aborder une nouvelle étape de la réforme si la question de la
pénibilité n'en constitue pas un pilier.
Mais
permettez-moi aussi d'insister, pour terminer, sur la nécessité, au-delà des slogans
de campagne, d'accorder davantage de considération à ceux qui travaillent, dans
des conditions parfois difficiles. La retraite angoisse aussi parce que le
monde du travail est de plus en plus dur, parce qu'il lamine, parce qu'il est
injuste. Ceux qui aiment leur travail, ceux qui en trouvent après 50 ans, ceux
qui se sentent considérés ne cherchent pas à partir « à tout prix ».
A vous entendre on a souvent le sentiment que
la retraite se limite à une affaire de tuyauteries et de paramètres techniques.
L'enjeu financier est réel, je ne le sous-estime pas. Mais cela n'épuise pas la question des retraites.
L'anxiété des Français face à l'avenir, leur doute sur la stabilité du pacte
social sont aussi importants, et aucune réforme ne réussira si elle n'en tient
pas compte. Le sort réservé aux retraités dit beaucoup de la considération de
notre société pour le travail, de son respect pour ceux qui ont bâti notre
pays, avec leurs mains, leurs services, leurs idées. On ne parle plus de la
protection sociale qu'en termes techniques et financiers, on évoque les droits
sociaux comme des privilèges, sans jamais se demander ce que peuvent attendre,
en droit et en justice, les millions d'hommes et de femmes qui au quotidien
font de la France ce qu'elle est.
A nos yeux, là est l'essentiel.
Téléchargement : Débat sans vote sur les régimes sépciaux
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