Il aura suffi d’un sondage pour que plane en France le spectre d’un nouveau 21 avril. A dire vrai, rien ne permet d’affirmer que le Front national arriverait en tête du 1er tour de la présidentielle : déjà, de nouvelles enquêtes d’opinion le ramènent à une troisième position plus crédible. Si la poussée électorale en faveur de l’extrême-droite reste à confirmer – et à cet égard les élections cantonales fourniront des indications intéressantes – il ne fait aucun doute que la parole de ses électeurs s’est libérée et que la défiance à l’égard de la politique et des responsables politiques atteint de nouveaux sommets. Je le vérifie chaque jour, dans la campagne pour les élections cantonales.
Il faut dire que la droite aura tout fait pour encourager ces sentiments de révolte. A force de jouer avec le feu, Nicolas Sarkozy a propagé l’incendie. On aurait tort de croire qu’il agit ainsi en pyromane inconscient car le sentiment d’urgence amènera la droite à s’unir : la perspective d’une candidature de D. de Villepin est chaque jour moins plausible. Tout laisse à croire que N. Sarkozy joue sciemment des peurs et des inquiétudes de l’opinion pour faire monter l’extrême-droite face à une gauche historiquement divisée en plusieurs partis.
La droite souffle sur les braises, en multipliant des débats sans autre objectif que de nourrir la méfiance à l’égard des étrangers, des musulmans. Que le printemps des peuples arabes ne donne lieu, de la part du gouvernement français, qu’à des coups de menton contre le risque accru d’immigration en provenance de ces pays est proprement stupéfiant ; qu’une députée UMP jusque là plutôt connue pour son sens de la mesure préconise de renvoyer les migrants à la mer sur leurs bateaux est affligeant ; que des ministres cultivés, maîtrisant donc leur expression, expliquent à n’en plus finir que DSK n’est pas enraciné dans le terroir français et empruntent à la rhétorique de l’entre-deux guerres pour en faire un apatride de la mondialisation inapte à se présenter à l’élection présidentielle, est terrifiant. Ce faisant, la droite fait monter les inquiétudes, d’une manière inconsciente pour la cohésion du pays, sans y gagner quoi que ce soit. Les Français n’ont plus confiance en N. Sarkozy, dont la parole n’est plus crédible. Ils n’en peuvent plus des injustices croissantes dans notre société, ils aspirent à une société d’équité, de règles partagées et respectées par tous.
La gauche pour autant ne bénéficie pas du discrédit profond du pouvoir en place, les socialistes singulièrement peinent à s’imposer comme l’alternative souhaitée. Là encore, le sentiment l’emporte que les querelles d’ego n’ont en réalité cessé de dominer. C’est largement injuste, tant le travail d’unité accompli ces derniers mois au PS est profond. Mais les Français ne le perçoivent pas, en tout cas pas suffisamment, pour y croire. La perspective de primaires de division fait resurgir le cauchemar d’une gauche divisée là où l’opinion attend une alternative rassemblée. Localement, les candidatures dissidentes aux élections cantonales, parfois soutenues, voire encouragées, par de grands élus, jette un peu plus le trouble et le discrédit sur le principal parti d’opposition. Alors que Dominique Strauss-Kahn est celui qui apparaît le mieux placé pour contrer la droite et l’extrême-droite, la violence de certaines critiques à son égard, issues des rangs mêmes des socialistes, n’est pas de bon augure.
Les socialistes doivent rapidement avancer leur projet. Le temps du programme n’est pas venu, qui sera celui de l’élection présidentielle. Il incombera au candidat ou à la candidate socialiste de le porter. Mais depuis deux ans que le travail a repris au PS, que les conventions se sont succédées, que des propositions ont été élaborées, il est temps de ramasser ce travail et de lui donner un sens, de répondre aux attentes des couches populaires et moyennes qui se sentent ballotées par la crise, emportées dans une tourmente sociale dont elles ne voient pas l’issue.
A la droite qui agite l’épouvantail d’une crise de l’identité nationale, il faut opposer des réponses aux vrais enjeux, qui sont économiques et sociaux. La crise de la société française n’est pas culturelle elle est sociale. Les réponses attendues le sont sur le terrain de l’emploi, du travail des jeunes et des seniors ; elles doivent porter sur le respect des salariés dans les entreprises, la qualité des emplois proposés. Cela suppose de renforcer la compétitivité de notre économie, de favoriser l’innovation de nos entreprises, la créativité de notre recherche. Sur tous ces plans, la droite est silencieuse. La gauche doit mieux faire entendre ses propositions pour être mieux entendue des Français.
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