Le projet de loi que vous nous présentez, Madame la Ministre, au nom du gouvernement, se présente comme un projet de réhabilitation du travail et de lutte contre le chômage. On aurait aimé pouvoir vous suivre, tant notre société souffre, depuis des années, des plaies ouvertes du chômage, de la précarité, de la pauvreté. On aurait aimé vous entendre dire que les Français qui ne travaillent pas aspirent dans leur immense majorité à le faire, et que ceux qui ont un emploi souhaitent en vivre décemment, et en tirer la fierté légitime de contribuer au développement de leur pays. Mais comme trop souvent du côté du gouvernement auquel vous appartenez, votre loi présente le chômage comme un choix et la pauvreté comme la rançon de l’inefficacité.
On aurait aimé vous entendre combattre le temps partiel imposé, revaloriser le SMIC avant de revaloriser les hauts revenus, refuser que des millions d’hommes et de femmes en France, aujourd’hui, travaillent sans parvenir à en vivre. De tout cela, malheureusement, votre texte ne traite pas ! Aucune des mesures que vous nous présentez n’est susceptible de favoriser la baisse du chômage, de revaloriser le pouvoir d’achat ni même de redonner confiance dans le travail. Vous tentez simplement de donner corps à des promesses électorales en direction des plus favorisés. La ficelle est un peu grosse, au point que des réserves se sont élevées, sur les bancs de votre propre majorité. Quelle cohérence, dans votre texte, de la défiscalisation des heures supplémentaires à l’expérimentation du Revenu de solidarité active, en passant par l’élargissement du bouclier fiscal ou l’allègement des transmissions ? Il ne s’agit pas, ici, de se livrer à un débat d’économistes. Et je vous accorde bien volontiers, Madame la Ministre, que la relance de notre économie ne peut passer seulement par une politique de la demande. Mais notre pays a d’abord besoin de croissance et de confiance. Or, on le sait bien : les Français sont, plus que leurs voisins européens, insatisfaits de leur travail ; les relations entre les employeurs et les salariés sont, dans notre pays, plus méfiantes qu’ailleurs. Votre projet, qui a fait l’unanimité des organisations syndicales contre lui, renforce les appréhensions de nos concitoyens, qui voient bien, au quotidien, que la flexibilité que vous appelez de vos vœux rime avec précarité et insécurité ; qui découvrent, mois après mois, que le travail ne paie pas, puisqu’il en faut toujours plus pour vivre décemment !
Vous vous offrez le luxe d’un cadeau fiscal de 12 à 15 milliards d’euros au bas mot, à destination de ceux qui n’ont pas besoin d’être aidés ; vous faites miroiter des réductions du coût du travail aux entreprises qui afficheront des heures supplémentaires et qui vont se précipiter sur l’effet d’aubaine sans se donner la peine de créer un seul emploi ! Vous détruisez le lien, pourtant nécessaire, entre le travail et la protection sociale, puisque le travail des heures supplémentaires n’est plus lié aux droits sociaux fondamentaux. Et, Monsieur le Haut Commissaire, vous récupérez les miettes : 25 millions ! 25 millions pour le RSA contre 12 à 15 milliards de cadeaux fiscaux.
La réhabilitation du travail, c’est d’abord du travail pour tous. Du travail pour tous, ce n’est pas une utopie mais une nécessité : contrairement à ce qu’affirme l’exposé des motifs de votre texte, les Français travaillent suffisamment, au moins autant que les autres Européens tout en restant plus productifs. Le vrai problème français, c’est le chômage des jeunes, qui plus que leurs voisins peinent à entrer de manière stable sur le marché du travail ; le problème français, ce sont les millions de salariés de cinquante ans et plus, jugés trop vieux et trop chers par les entreprises. Le véritable scandale, pour reprendre votre mot, Mme la Ministre, il est là ! Vous voulez offrir une main d’œuvre facile à des employeurs qui, par ailleurs, ne prennent pas de gants pour licencier des hommes et des femmes de cinquante ans parce qu’ils leur coûtent trop cher et qui hésitent à embaucher des jeunes parce qu’ils ne sont pas assez expérimentés ! Si la France ne travaille pas assez, c’est pour cette raison et pas parce que nos concitoyens rêveraient de loisirs ! Que les entreprises ouvrent leurs portes aux jeunes et aux moins jeunes, que l’on cesse de concentrer tout l’effort de la nation sur les 30/50 ans, et la croissance française repartira.
Travailler, c’est bien, en vivre, c’est mieux, vous me l’accorderez. Trop de salariés restent smicards tout au long de leur carrière : que leur proposez-vous d’autre que de rester smicards, tout en travaillant plus ? Et que proposez-vous à ceux qui n’ont pas d’emploi sinon d’espérer devenir Smicard avec des heures supplémentaires pour que les fins de mois ne soient pas trop dures ? La conséquence de votre projet est limpide, et vous avez d’ailleurs commencé à la mettre en œuvre en refusant de revaloriser le Smic au-delà du minimum légal : pourquoi revaloriser le coût du travail, alors qu’il appartient à chacun de travailler plus – s’il le peut ? Pourquoi les entreprises payeraient-elles mieux, si elles peuvent avoir plus d’heures travaillées pour le même prix ? Les salariés, eux, vont payer trois fois votre réforme : leur salaire ne sera pas revalorisé et il leur faudra travailler plus pour simplement garantir leur pouvoir d’achat ; le prix de vos cadeaux aux entreprises, ils vont le payer cash, en franchises de soins et en augmentation de cotisations sociales ; et demain, lorsqu’ils seront malades ou prêts à partir en retraite, ils s’apercevront que leurs droits n’ont pas été garantis, et que leur travail ne les prémunit plus contre les risques de l’existence.
Alors, on s’étonne de trouver dans cet ensemble de cadeaux sans précédent aux entreprises la mise en place du Revenu de solidarité active. Alibi social ou précipitation législative, il est difficile de le dire. Je le dis d’emblée : la mise en place d’un revenu de solidarité active n’appelle aucune opposition de principe. Mais comme chacun sait, le diable se niche dans les détails, et des détails, nous en avons fort peu à ce stade. L’idée de lutter plus activement contre la pauvreté n’est pas nouvelle, pas davantage celle d’inciter les bénéficiaires de minima sociaux à reprendre un emploi en leur garantissant un revenu plus élevé. Des lois ont déjà été votées, elles n’ont pas suffi. Mais de quoi s’agit-il aujourd’hui ?
Pas de lutter contre la pauvreté de ceux qui travaillent : le projet de loi ne l’évoque pas, quand bien même, on le sait M. le Haut-commissaire, le sujet vous tient à cœur. Vous vous référez souvent, dans votre présentation, à la volonté d’améliorer le sort de ceux qui travaillent mais n’en tirent pas des revenus suffisants. L’intention est belle, le débat mérite d’être ouvert. Mais il ne l’est pas dans ce texte. De quoi s’agit-il donc ? Pas davantage de refonder l’ensemble de nos minima sociaux, à la fois trop nombreux et trop complexes. Je ne doute pas de vos convictions, M. Le Haut-Commissaire, même si le gouvernement auquel vous appartenez présente si souvent ceux qui n’ont que le RMI pour comme des réfractaires au travail.
La solidarité sociale, dans notre pays, doit être refondée. Soit . Le RMI ne remplit plus sa mission, et l’explosion du nombre d’allocataires, l’apparition d’enfants pauvres, les difficultés particulières rencontrées dans certains territoires appellent une refonte de nos dispositifs. Nous pouvons l’entendre. Mais cette refonte doit intervenir dans le cadre de la solidarité nationale. Quelle image que de renvoyer le financement de cet effort aux Conseils généraux, au moment même où le gouvernement couvre de ses largesses les plus fortunés de notre pays ! Le choc des images, comme celui des chiffres – 25 millions d’un côté, 15 milliards de l’autre - est déplaisant, au point qu’on se demande pourquoi vous avez souhaité, ou accepté que le RSA figure parmi les dispositions de ce texte.
Si sur le principe, je ne vois pas de raison de refuser la mise en place d’une expérimentation du revenu de solidarité active, les modalités de sa mise en œuvre, elles, restent trop floues à ce stade pour ne pas être préoccupantes. Au-delà de son coût, qui doit relever de l’Etat et non des collectivités locales, l’interrogation demeure sur la portée réelle de votre projet. Car, contrairement à ce que d’aucuns pourraient imaginer, il ne s’agit ni d’un emploi, ni d’un contrat aidé ;cela ne peut donc concerner que ceux des RMIstes qui sont déjà les plus aptes à s’en sortir. Qui cela concerne-t-il ? Quelques dizaines de milliers de personnes, alors qu’il y a plus d’1, 2 millions d’allocataires du RMI dans notre pays ? De quelle incitation parle-t-on ? Entre le RMI et le travail à temps plein, même payé au SMIC, l’hésitation n’est guère possible. Le risque est donc réel de voir se développer des emplois à temps partiel, en partie financés par la collectivité. Et que devient la prime pour l’emploi, dans ce dispositif ?
Nous avons besoin d’une grande réforme de nos politiques de lutte contre la pauvreté. Aujourd’hui, vous nous proposez un simple mécanisme d’incitation à la reprise d’une activité en faveur de ceux qui n’hésitent pas vraiment. C’est un premier pas, loin de la rénovation sociale que vous sembliez prôner dans votre rapport d’il y a deux ans. Votre insistance à évoquer des objectifs qui ne figurent pas dans la loi laisse à penser que vous en avez conscience. Votre ambition est grande, mais le texte que vous nous présentez est encore petit.
Téléchargement : Intervention sur le projet de loi en faveur du travail de l'emploi et du pouvoir d'achat.pdf
Les commentaires récents