J'ai été interpellée à de nombreuses reprises sur la ratification du traité de Lisbonne. Les débats sont parfois véhéments, toujours passionnés. On m'a dit, entre autres, que peu importait le fait même d'être pour ou contre la ratification du traité, que seule comptait la façon dont il serait (ou non) adopté : seul un référendum serait acceptable, compte tenu du rejet en 2005 du précédent projet de traité par les Français ; on m'a également dit que le vote des parlementaires de gauche, à condition qu'ils votent contre la révision constitutionnelle, conduirait nécessairement à l'organisation d'un référendum ; on m’a dès lors expliqué que, même si je penchais pour l’adoption du traité, je devais voter non à Versailles le 4 février prochain, pour permettre aux Français de se prononcer sur le fond. La réalité n'est pas si simple.
1) Pourquoi modifie-t-on la Constitution ?
Pour pouvoir ratifier un traité, il faut que celui-ci soit conforme à la Constitution française, qui a une valeur supérieure à celle des traités. Le traité de Lisbonne, comme les autres traités européens, implique des changements de compétences dans certains domaines, notamment pour le Parlement et le Gouvernement, qui n'étaient par définition pas prévus dans la Constitution de 1958 : c'est pour cela que nous devons la modifier.
2) La gauche dispose-t-elle d'une minorité de blocage ?
Toute révision de la Constitution doit être votée par les 3/5èmes du Parlement (Assemblée nationale et Sénat réunis) réuni en Congrès, à Versailles. La minorité de blocage (les 2/5èmes des votes exprimés plus une voix) se situe donc, dans le cas où les 908 parlementaires votent, à 364 voix. La gauche, tous groupes politiques confondus, ne dispose que de 347 élus. Même si tous se mobilisaient pour voter non, il manquerait encore 17 voix supplémentaires pour atteindre cette minorité. Mais si des voix de droite se joignaient à la gauche, cela permettrait-il pour autant d'obtenir un référendum ?
3) Si les parlementaires votaient contre la révision constitutionnelle, cela imposerait-il l'organisation d'un référendum ?
Aux termes de l’article 11 de la Constitution, l'organisation d'un référendum dépend, en France, du Président de la République. Celui-ci peut en décider l'organisation sur proposition du Gouvernement ou des deux assemblées. Il n’y est pas obligé.
En admettant que le vote du 4 février aboutisse à refuser la révision constitutionnelle, le Président de la République n'aurait en aucune manière l'obligation d'organiser un référendum, il n'y est tenu par aucune disposition constitutionnelle. Puisqu'il ne semble pas le souhaiter, il ne fait aucun doute qu'il ne le fera pas.
À l’inverse, l’adoption de la révision constitutionnelle ne préjuge ni de la suite à donner au traité ni de son mode d’adoption : ainsi, le 28 février 2005, la révision préalable à la ratification du traité constitutionnel a été adoptée par le Congrès de Versailles par 730 voix contre 66. Les socialistes l'ont approuvée par 86 voix pour, une voix contre et 57 abstentions. Cela n'a pas interdit ensuite au chef de l'État de soumettre au vote des Français le projet de traité, et à ceux-ci de le rejeter le 29 mai 2005.
La seule possibilité d’imposer un référendum serait l'adoption, par les deux chambres, d’une motion référendaire. C’est la raison pour laquelle, le groupe socialiste déposera une telle motion qui sera examinée le 6 février prochain par l’Assemblée nationale. En dehors de cette procédure, il n’existe aucun lien automatique entre l’adoption ou le rejet de cette révision et le choix du mode d’adoption du traité (référendum ou vote parlementaire).
En réalité, donc, le refus de la révision constitutionnelle au Congrès de Versailles le 4 février ne conduirait non seulement pas à l'organisation automatique d'un référendum, mais il empêcherait de facto la ratification du traité de Lisbonne. La Constitution ne pouvant pas être modifiée pour permettre la ratification du traité, celle-ci ne pourrait juridiquement pas intervenir. Ceux qui prétendent dissocier totalement la forme de la ratification du fond ne sont pas tout à fait sans arrières pensées.
La position adoptée par le groupe socialiste, c’est-à-dire s'abstenir à Versailles lundi prochain mais déposer une motion référendaire à l'Assemblée nationale, permet précisément de revendiquer un référendum sans préjuger du vote final (l’abstention à ce stade permet de rassembler aussi bien des partisans que des opposants du traité). En même temps, cette abstention permet ensuite de voter oui à la ratification du traité. Ce sera ma position : je m'abstiendrai sur la révision constitutionnelle le 4 février, je voterai à l'Assemblée nationale pour qu'un référendum soit organisé. Je voterai ensuite oui à la ratification du traité car il me semble urgent que le processus européen se remette en marche sereinement et que la gauche y fasse entendre son exigence d'avancées sociales.
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