Marisol Touraine est intervenue à l’Assemblée nationale dans
le cadre de la discussion générale du projet de loi de modernisation du marché
du travail. Vous pourrez en trouvez ci-dessous le compte rendu.
Monsieur le président, monsieur
le ministre, mes chers collègues, c'est à un exercice inédit, à défaut d’être
historique, auquel nous nous livrons aujourd'hui en transposant un accord signé
par les organisations patronales et quatre confédérations syndicales de
salariés.
Je consacrerai pour ma part
l'essentiel de mon propos à la question particulière qui se trouve posée à
l'occasion de ce projet et qui concerne les relations entre la démocratie
sociale et la démocratie politique. Je dirai quelques mots rapides sur l’accord
lui-même. Comme cela a été indiqué par plusieurs de mes collègues, cet accord
limité comporte des avancées indéniables pour les salariés.
Il est évident que si les
socialistes avaient eu à proposer un texte sur le marché du travail et sa
modernisation, il eût été différent de celui qui est en discussion aujourd’hui.
On peut d’ailleurs faire l'hypothèse qu'il en aurait été de même pour votre
majorité. L'une des raisons qui nous ont conduits à regarder avec intérêt
l'accord est précisément qu'il évite les excès annoncés pendant la campagne
présidentielle, en particulier l'idée d'un contrat de travail unique.
Au-delà, il est juste de prendre
acte d'avancées réelles, en particulier l'affirmation du CDI comme forme
normale de la relation de travail, l'obligation de motiver les licenciements
et, bien entendu, l'abrogation du CNE. Ce n'est pas rien, au regard de la
critique constante que nous avons exprimée vis-à-vis de ce contrat.
L'instauration d'une rupture
conventionnelle du contrat largement encadrée est intéressante, d’abord parce
qu’elle fait échec à l'idée de contrat unique, ensuite parce qu’elle permet
d’introduire une certaine souplesse dans la gestion des relations entre les
employeurs et les salariés, qui n’est pas, contrairement à ce que disent
certains, uniquement au profit des employeurs. Il faudra néanmoins être
vigilant et nous le serons quant aux modalités de sa mise en œuvre
dans un contexte de tension économique.
Malheureusement, il me semble
que, dans l’autre plateau de la balance de cet accord, ce qui concerne
l’instauration d’une sécurisation des parcours professionnels reste extrêmement
limité. La transférabilité des droits des salariés en cas de rupture du contrat
reste trop faible pour que nous puissions véritablement saluer l'engagement
d'une flexicurité – même si je n’aime pas ce terme – à la française. Nous le
regrettons, car l’essentiel du travail qui reste à accomplir est bien de se
donner les moyens de lutter contre la précarité de l’emploi en sécurisant
davantage les parcours professionnels. On le sait, plus les salariés sont
précaires, moins ils sont formés, plus ils sont exposés. À cet égard, ni
l’accord, ni le projet de loi ne répondent à cette urgence.
Quelle place entendons-nous
donner la démocratie sociale ?
La démarche est originale,
puisque vous nous demandez de limiter notre droit d’amendement. Personne n’a
intérêt à défendre l’idée que le Parlement serait dans son rôle en se
contentant de transposer un accord. Je ne crois pas davantage que l’on puisse
prendre appui sur la loi de 2007 pour considérer que l’équilibre de notre droit
social pourrait passer d’un schéma dans lequel la loi est l’élément central à
une autre architecture dans laquelle l’accord négocié entre les partenaires
sociaux tiendrait la même place. Je ne vais pas entrer dans un débat par trop
juridique, mais c’est la Constitution elle-même qui fixe les principes et les
grandes orientations. Il revient à la loi de fixer les principes fondamentaux
du droit social et syndical. Une simple loi, fût-elle votée à une large
majorité, ne peut remettre en question cet équilibre.
De ce point de vue, nous devons
procéder à une analyse au cas par cas des transpositions d’accords qui nous
sont présentées. Il n’est pas possible, au nom de la force de la loi, d’écarter
d’un revers de main, l’idée que l’accord entre partenaires sociaux peut introduire
des normes contraignantes nouvelles et apporter une sécurité renforcée aux
salariés. Et s’il est exact que la relation de subordination qui existe entre
le salarié et son employeur doit être fortement encadrée, il serait excessif
d’en déduire que seule la loi peut procéder à cet encadrement. À l’évidence,
les organisations syndicales doivent constituer l’un des éléments clé de cet
encadrement.
Pour que la démocratie sociale,
que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux, prenne toute sa
force, il faut, à l’évidence, que le travail se poursuive, que la
représentativité des syndicats soit mieux définie et progresse, que leurs
positions puissent s’exprimer dans le cadre d’accords majoritaires.
La loi garantira toujours les
principes de l’ordre social public. Au Parlement ensuite, au cas par cas, de
déterminer dans le cadre de chaque accord, si ces principes sont respectés. Or
qu’en est-il avec du texte que nous examinons aujourd’hui ? Nous ne
pouvons contester la très large représentativité des organisations signataires
et le fait qu’elles représentent une majorité de salariés. À ce stade, deux
points, néanmoins, suscitent notre interrogation et justifient notre
abstention, même si cette abstention doit être constructive.
Premièrement, si nous parlons de
transposition, cela signifie que l’accord, rien que l’accord, mais tout
l’accord doit être transposé.
À cet égard, les réserves exprimées par
certains, en commission et dans le cadre du débat, sur la transposition dans la
loi du droit des salariés à « bénéficier » des indemnités de
licenciement lorsque leur contrat est rompu de manière conventionnelle dans les
mêmes conditions que ceux qui seraient licenciés posent un problème réel. De
plus, je ne suis pas convaincue par l’argument avancé par le président de la
commission des affaires sociales. Si l’on peut engager le débat pour savoir si
tous les salariés, quels que soient leurs revenus, doivent bénéficier des
indemnités chômage dans les mêmes conditions – débat qui n’est pas posé dans ce
texte –, il n’y a aucune raison de créer une catégorie à part pour les salariés
qui bénéficieront de la rupture conventionnelle. On pourrait imaginer que vous
introduisiez des différences d’indemnisation selon le revenu des salariés, et
ces différences seraient les mêmes pour les salariés licenciés et les salariés
rompant leur contrat de manière conventionnelle avec leur employeur.
Notre inquiétude se justifie
d’autant plus que vous vous êtes engagés dans un durcissement du régime
d’indemnisation chômage. De la même manière, il serait inacceptable pour nous
que, certains sur les bancs de la majorité, tentent, à l’occasion de ce débat,
de revenir sur l’abrogation du CNE.
L’accord, rien que
l’accord !
Permettez-moi, monsieur le
ministre, de regretter que nous ne disposions pas d’une visibilité sur les
décrets de transposition.
Vous nous avez transmis la liste
et le titre des décrets que vous allez prendre, mais sans nous en donner le
contenu précis.
Ma deuxième réserve concerne
l’incertitude dans laquelle nous sommes quant à l’évolution des dispositions
qui vont être adoptées dans le cadre de ce débat. Lorsque la loi sera votée,
elle deviendra une loi comme n’importe quelle autre. À ce titre, elle pourra
être modifiée par voie d’amendement. Le Gouvernement et l’actuelle majorité
sont-ils prêts à s’engager à ne pas modifier cette loi, issue de la
transposition d’un accord social, sans avoir engagé, au préalable, une
concertation entre les organisations syndicales ? En d’autres termes, nous
souhaitons avoir des garanties. Il ne serait pas acceptable pour nous que dans,
quelques mois, vous reveniez sur l’abrogation du CNE, sur la définition du
contrat de mission ou sur celle des catégories de salariés susceptibles d’en
bénéficier, sans que les organisations soient au préalable consultées.
Monsieur le ministre, le texte
que vous présentez, et qui est à peine plus le vôtre que le nôtre, comporte des
avancées réelles, même si elles sont, à nos yeux, insuffisantes pour enrayer le
fléau de la précarité du travail. Ce texte nous engage sur la voie d’une
démocratie sociale mieux reconnue, même si les incertitudes, là encore, restent
fortes. L’équilibre est instable. Rien ne justifierait un vote de rejet. Rien
ne provoque un vote d’adhésion. Reste alors l’abstention, faite d’interrogations
et d’attentes !
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